Les Héros de Météor et leur Idéologie
par Alain Dartevelle - Deuxième partie

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Dans plusieurs épisodes transparaît donc la croyance en les vertus du savoir. Il serait fastidieux d'énumérer les numéros qui reproduisent le même scénario: les terriens rencontrent un peuple qui vit au stade tribal, voire à l'âge de pierre, et leur première pensée est de lui dispenser les connaissances terriennes. Ainsi cette réflexion face aux Darous (n°20, janvier 55, planche 7):

"Ils doivent vivre comme nos ancêtres des temps préhistoriques… Nous pouvons leur faire d'un seul coup un bond de dix mille ans vers le progrès !"

Météor n° 20 planche 7
Météor 20 (janvier 1955)

Accepter les cours terriens sera d'ailleurs la meilleure preuve d'intelligence (planche 11):

"Ces sauvages sont intelligents et pleins de bonne volonté. Ils apprennent facilement et apprécient à leur valeur les immenses services que nous leur rendons."

On le voit, les Terriens ne doutent pas du bien-fondé de leur action. Action qui ne se fait pas sans préjugés. Certains peuples ne semblent pas dignes de recevoir le savoir terrien. Il faut que le peuple soit foncièrement pacifique, et aussi qu'il ait les aptitudes à assimiler les techniques nouvelles. Cela traduit la croyance en des qualités et des défauts innés chez tel ou tel peuple (pl.33):

"Les Darous, placés par leur intelligence au sommet de l'échelle des habitants de cette planète, seront les intellectuels, les artistes, les chefs. (…) Les Narkys, les noirs, seront les constructeurs, maçons, voire architectes. Ils ont déjà donné un style personnel à leurs premières bicoques ! Quant aux Tamias, les hommes singes, beaucoup moins évolués, à eux seront dévolues, en attendant qu'ils se perfectionnent, les tâches plus rudes mais non moins utiles: des travaux de force."

On ne commentera pas. (note du webmestre: voir le commentaire ci-contre)

Météor 20 p 33
Météor 20 (janvier 1955)

Une fois cependant, Spencer décidera de ne pas intervenir dans l'évolution de la civilisation locale. C'est dans le n°62 (juin 58) planche 33, où il déclare:

"Partons nous aussi ! Respectons la Loi Universelle et laissons les êtres de cette planète vivre à leur guise en s'orientant doucement vers le progrès."

Mais la loi Universelle en question n'a trouvé que ce cas d'espèce à son application, et en juillet 60 (n°87, "Les profs des étoiles"), on apprend d'ailleurs que

"la Diffusion Culturelle Sidérale a résolu d'envoyer sur certaines planètes, récemment explorées, des éducateurs destinés à faire avancer les peuples arriérés dans la voie du progrès."

Le trio accompagnera donc sur Hyrgona un couple d'éducateurs, et le récit expose en long et en large leur action bienfaisante. Avec, en contrepoint, la mise hors d'état de nuire de deux commerçants véreux, qui échangent des babioles, de la verroterie contre l'aluminor, métal très précieux. Précisons que la couverture de ce numéro est des plus plaisantes, puisqu'on y voit un astronaute enseigner aux Hyrgoniens la géographie... de la Terre ! Cette attitude caractéristique du pire colonialisme n'est pas sans rappeler le mode d'éducation prôné par le professeur Hillar, et qui était condamné, dans le n°67.

Météor 87 - couverture (détail)
Météor 87, détail de la couverture (juin 1960)

Le cœur que Spencer et ses compagnons mettent à seriner de planète en planète l'évangile du progrès terrien montre combien ils croient en leur mission. Et pourtant, où a mené le progrès, sur Terre ? A un rythme de vie effréné, semblable à celui de Futura, où Spencer déclarait ne pouvoir vivre. D'ailleurs, quand il est en congé sur Terre, le trio ne se sent pas chez lui. Spade le dit clairement (n° 131):

"Nous nous sentons déplacés dans notre société…"

On touche ici à la contradiction essentielle des héros. Incapables de vivre dans une société asphyxiée par la technique, ils n'ont qu'une idée, une fois inactifs: être chargés d'une nouvelle mission qui les enverra bien loin dans l'espace. Où — et c'est tout le drame — ils iront répandre les fondements d'une société qu'eux-mêmes ne supportent plus. Ils sont les premières victimes de l'idéologie qu'ils véhiculent. Mais ils restent inconscients — semble-t-il — de l'illogisme fondamental de leur comportement.

Meteor 131 planche 3
Météor 131, page 3 (avril 1964)


Météor 87 planche 1
Météor 87 (juillet 1960)

Météor 20 p 33
Météor 20 (janvier 1955)

Météor 20 p 33
Météor 20 (janvier 1955)

Commentaire de Jacques Merlin

Un écrivain belge (Alain Dartevelle) a réalisé, en 1975, une thèse sur Météor. Travail particulièrement intéressant et bien documenté où il est toutefois reproché à Raoul Giordan (qui m'a prêté cette thèse) un certain... racisme caché: "Il n'y a, en effet, pas d'astronaute... noir et tous les méchants ont une sale gueule...". Je trouve cette analyse un peu rapide et manquant de recul. En 1953 il ne devait pas encore y avoir beaucoup de personnes particulièrement de couleur dans ce tout petit village du sud de la France qu'est La Colle-sur-Loup où réside le dessinateur. Il ne recevait même pas d'Artima, un exemplaire de "son" Météor: il devait aller l'acheter chez le buraliste du coin ! Il ne savait même pas qu'il avait des lecteurs !!!

Le premier restaurant asiatique a été ouvert à Paris après 1954, le premier africain "Le Baobab", rue de l'Université, au tout début des années 60, alors parler d'oeuvre "raciste"... Raoul Giordan, d'autre part, compte tenu du temps passé à réaliser ses planches (c'était le bagne à la table à dessin...), n'a pas eu beaucoup le loisir de se rendre en Afrique pour y trouver l'inspiration...

12/08/2004

Professeur Hillar
La pédagogie du professeur Hillar
Météor 67 (novembre 1958)

Météor 120 planche 15
Révolte sur Tenigra
Météor 120 (mai 1963)

Météor 97 - histoire 2
Météor 97 (mai 1961)

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Ce document est extrait de la thèse
ETUDE THEMATIQUE ET TYPOLOGIQUE D'UNE BANDE DESSINEE DE SCIENCE-FICTION:
LES AVENTURES DE SPENCER, SPADE ET TEXAS DANS LE MAGAZINE "METEOR"

par Alain Dartevelle (Université Libre de Bruxelles - 1975)
et publié sur ce site avec sa permission.

note du Prof TNJ:
ces aventures ont toujours été publiées en noir et blanc; certaines vignettes ont été mises en couleur par moi-même pour rendre ces pages plus brillantes (et aussi parce que je trouvais cet exercice passionnant).