La composition du trio «Spencer, Sam Spade et Texas» se structure de manière hiérarchique: du sérieux et de la science, Spencer; du sérieux, de la jeunesse et de l'audace, Spade; autant d'intrépide jeunesse avec la naïveté tendre (1) et l'humour en sus, Texas. Au cours de leurs onze années d'aventures, les caractéristiques des héros n'ont que peu évolué. On peut cependant noter que Spade se départit progressivement de son sérieux au départ imperturbable. De plus en plus, c'est lui qui taquine son mécano. Texas était un peu caricatural au départ. Il continuera à placer à tout prix ses mots, qu'il trouve bons, mais se fera moins bouffon. Du point de vue physique, son visage s'affine. Et il est moins enclin aux grimaces. Quant à Spencer, l'espace semble lui réussir, puisqu'au fil des mois, ses traits se font moins lourds. Il a tendance à perdre son ombre de double menton, et ses tempes argentées ne parviennent pas à mettre en doute une parfaite forme physique. Tout cela illustre une caractéristique majeure des héros de la bande dessinée classique: ils ne vieillissent pas. Autour d'eux pourtant, le monde change: le temps s'écoule mais ne les atteint pas. Ne les atteint pas physiquement, du moins. Car une grande qualité de Giordan et de Lortac est de présenter des héros qui ont une épaisseur psychologique, une vie mentale plausible. Ce ne sont pas des surhommes au moral inattaquable. Ils peuvent avoir des défaillances, souffrir de l'ennui, de l'angoisse. Plusieurs scènes d'exaspération de Texas, de mauvaise humeur de Spencer, traduisent ces travers bien humains.

Texas et le pirate Carlovax - Météor n° 96 (avril 1961)

Quant à leur nationalité américaine, affirmée dans les premiers épisodes, elle est moins sûre par la suite. Au départ, ils ponctuaient leurs phrases d'expressions anglo-saxonnes ("Well", "By Jove"), habitude qu'ils abandonnent vite. Cependant, alors que les astronautes sont isolés sur Lilia, en juillet 57 encore (n°51), Texas évoque Broadway et la 5ème avenue. Mais deux mois plus tard (n°53), on dit qu'ils reçoivent leurs consignes de Paris. Dans le n°60 (avril 58), ils seront à nouveau aux ordres de Washington. Ces contradictions traduisent une ambiguïté fondamentale. Voulant traiter avec sérieux l'exploration de l'espace, Giordan ne pouvait présenter que des astronautes américains (2). Mais la bande dessinée est destinée à un public francophone. Pourtant, cette légère dissociation héros/lecteurs ne joue que bien peu, puisqu'au plus souvent, Spencer et ses compagnons évoluent bien loin de notre planète, et, de toutes façons, c'est en Terriens qu'ils se présentent aux extra-terrestres.

A l'encontre de beaucoup de héros — Flash Gordon, Mandrake , The Phantom — qui justifient leur liberté d'action par une grande fortune personnelle, les héros de Météor gagnent leur vie. Ils sont membres des milices interstellaires, employés par l'Astronautique d'état. Alors que, comme Bob Anders, un ami de Texas (cf. n°51, juillet 57), ils pourraient être indépendants, "faire le taxi" de planète à planète après avoir décroché une licence de pilote intersidéral, ils préfèrent assumer leur mission d'exploration, directement aux ordres de la planète.

Cette mission d'exploration se double d'un rôle d'ambassadeurs. D'une part, après chaque visite de planète, l'équipe envoie un rapport à la Terre, qui sera complété, au retour, par le dépôt d'échantillons de végétaux, de minerais, etc. D'autre part, quand les planètes sont habitées, les astronautes sont chargés, tout en représentant honorablement la Terre, d'assimiler les découvertes des civilisations avancées, et d'aider les planètes "retardées".

Educateur en mission pour les "Planètes Unies"
Météor 87 (juin 1960)

Mais en fait, leur action va souvent beaucoup plus loin, dans le sens d'une ingérence qui vise à instaurer la conception terrienne de la paix et du progrès, sur des planètes souvent divisées. L'interventionnisme sans complexe des Terriens se manifeste face à tous les types de civilisation. C'est souvent le pistolet paralysant au poing que les astronautes règlent les conflits, prenant fait et cause pour l'une ou l'autre faction. Mais c'est face aux peuples primitifs des autres mondes qu'apparaît le plus clairement la mentalité des astronautes, donc des autorités terrestres dont ils respectent scrupuleusement les recommandations, puisqu'alors, Spencer et ses compagnons, outre les conciliateurs armés, jouent les éducateurs.

Pistolet paralysant au poing...
Météor n° 59 (mars 1958) détail de la couverture

(1) Dans le n° 22 (mars 55), à la vue de Texas qui admire des fleurs et ne résiste pas à l'envie d'en cueillir un bouquet, Sam commente : "Quel enfant, ce Texas !" et Spencer explicite: "Oui, il a la candeur et la loyauté enfantines."

(2) Puisque seuls les USA et l'URSS semblent disposer des moyens suffisants pour envisager la conquête spatiale, et que l'idéologie exposée est allergique aux régimes à parti unique, exclus des Planètes Unies — il est symptomatique qu'un traître s'appellera Orchilov.

Tex Bradley (Texas — il y a une coquille sur cette vignette) et Sam Spade - Météor n° 1, page 2 (mai 1953)

Spade - Météor 96 (avril 1961)

Docteur Spencer - Météor 125 (octobre 1963)
d'après la planche originale

Texas - Météor 79 (novembre 1959)

Commandant Spencer de la Police des Planètes Unies - Météor 94 (février 1961)