Météor : témoignage n° 3 |
Je dois vous avouer que parler de mon premier Météor serait un mensonge. Mon premier Météor, il n'a jamais existé. Mon premier Météor, c'était un « Cosmos » (rééditions de Météor), que j'allais acheter au petit kiosque de la grand'place. Pourtant, c'est le nom de Météor qui est resté dans mes souvenirs… La fenêtre de ma chambre donnait sur une usine qui fabriquait des réfrigérateurs. Elle ronronnait sans arrêt et recrachait de la poussière d'émail : il neigeait en été ! Dans ce ronron, je me souviens de la voix lointaine de ma mère. Elle m'appelait pour le goûter mais je ne l'entendais pas : au fond de mes yeux brillaient les étoiles, je déchirais l'espace noir à bord de Space Girl. En bonne compagnie avec Spencer, Spade et Texas, j'arpentais l'univers, leur vision du monde m'apportait du réconfort. On me prenait pour un enfant rêveur, absorbé par ses lectures, surtout quand il s'agissait de faire la vaisselle ! En réalité, à quelques parsecs de là, je me démenais pour sauver la galaxie, amener la paix et la justice. Quel bonheur ! Il m'arrivait d'évoquer mes lectures devant mes camarades, quand je gribouillais des plans de vaisseaux spatiaux sur mes cahiers. Les plus indulgents saluaient mon « originalité ». La majorité haussait les épaules en tournant la tête. Sous culture, pensait-on, en abrégeant la conversation d'un sourire entendu. Mais je ne renonçais pas pour autant à ma visite au petit kiosque de la grand'place. Nous étions en 1967, j'avais treize ans. La première impression avait été forte, son empreinte profonde. Je me rends compte maintenant qu'à travers ma passion pour la science-fiction je n'ai cherché qu'à renouer avec ces premières émotions : ces instants où le présent s'efface pour laisser l'histoire vous engloutir tout entier. C'est ainsi que je regardais Commando Spatial, ce feuilleton télé d'origine allemande qui passait tard le lundi soir, après 22h, en remplacement des Incorruptibles. J'y retrouvais en filigrane les aventures des héros de Météor. De la science-fiction ! A l'ORTF ! C'est avec tendresse que je conserve le souvenir de ces rares moments de connivence passés avec mon père. Il travaillait beaucoup et rentrait tard. Voici le 21 juillet 1969. Nous étions au restaurant, à Marseillan. Exceptionnellement on avait amené une télé. Dans la salle bruyante, le bruit des fourchettes s'était estompé et le silence s'était installé. Tout le monde levait la tête, se tordait le cou pour apercevoir sur le petit écran, en noir et blanc, l'image incertaine de Neil Armstrong qui posait le pied sur la Lune. Je ne quittais pas l'écran des yeux. Je connaissais la suite. Je l'avais lue dans Météor : ensuite, il y aurait la station spatiale, puis Mars, puis les étoiles, et en l'an 2000, bien sûr, les voitures voleraient ! C'est bien une des rares fois où il m'a semblé que l'Histoire avançait dans le bon sens ! Il faut bien grandir… Le temps s'accélère. Les Météor s'effacent du salon, ils disparaissent de ma chambre. Je ne les lis plus. Silencieusement, ils entament leur voyage vers le futur dans l'obscurité du grenier. Et pourtant quand le film « Planète interdite » est diffusé sur le petit écran, c'est tout le plaisir de mes premières lectures que je retrouve. La voie est tracée : je dévore Van Vogt d'abord, puis Asimov, K. Dick, Heinlein, Simak,… je découvre Druillet, Corben, Moebius et bien d'autres encore. J'aurai peu de temps à consacrer aux auteurs classiques de mon bac littéraire. J'entre dans la vie professionnelle, je suis instituteur. Ma classe participe à l'enregistrement d'une émission télévisée. Nous utilisons comme décor le « château Danel » à Loos. Les propriétaires louent la bâtisse car ils ont de la difficulté à faire face à son entretien. Sans le savoir, je suis tout près de Météor, car Danel était l'imprimeur de la maison Artima. Dans le salon, de gros câbles noirs parcourent le parquet jusqu'à d'énormes projecteurs. On a disposé un fond bleu derrière un piano à queue. Dans un coin, près d'une vitrine datant du XVIIe, tout en marquetterie de bois précieux, la maîtresse de maison exhibe fièrement quelques splendeurs passées, des vieux livres reliés de cuir qui portent la marque du roi soleil. Dans le parc, les camions générateurs d'électricité et la régie sont garés à côté d'un ancien terrain de tennis en terre battue qui disparaît sous les feuilles jaunies. Qui sait ? Peut-être les caves du château recèlent-elles des trésors de Météor ? Une montagne d'invendus, neufs, le rêve des collectionneurs ! Enfin le temps s'écoule, les années passent avec leur lot de bonheurs et de malheurs. J'oublie Météor. L'année 2000 se profile à l'horizon. Je rencontre ma nouvelle compagne, je quitte ma maison et mes souvenirs. Je fonde un nouveau foyer. Dans ce contexte heureux, je ressens la liberté et l'envie de renouer avec mon enfance. C'est le nom de Météor qui surgit à ma mémoire, je pars à sa recherche. A la Braderie de Lille d'abord. Et c'est là que j'apprends que Météor est devenu célèbre. Quand on prononce ce nom, les visages s'inclinent : « Des Météor ? On n'en trouve plus, c'est hors de prix… » Ah bon ! Qu'importe, je continue mes recherches, et chez un bouquiniste, je découvre le Graal : une caisse remplies d'invendus, des exemplaires neufs réservés au personnel de l'imprimerie. Parmi les fascicules figurent soixante-six numéros de Météor. La suite de l'histoire ressemble à celle de nombre de collectionneurs : recherches sur un site de vente aux enchères, découverte du site du Prof TNJ que j'utilise comme référence. Jusqu'au jour où j'ai la chance d'entrer en contact avec Mr Giordan lui-même, et de connaître sa peinture. La boucle est bouclée, un cran au-dessus. Merci, Monsieur Giordan. Ah ! J'oubliais… Je suis retourné dans le grenier, chercher mes anciennes BD. Ma mère avait fait le ménage, il n'y en avait plus. Et pourtant, au fond de la caisse, il restait un fascicule. Pas un « Cosmos », mais un Météor. Le numéro 107. Finalement, et si c'était lui, mon premier Météor ? Eric Lestienne, mars 2006
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Cosmos 1 (Aredit) - octobre 1967 |
Le petit kiosque de la Grand'Place de Wattrelos - années 60 |