La Spécificité de Météor
par Alain Dartevelle

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Si l'on a choisi d'étudier le magazine Météor plutôt que les autres, c'est qu'il fut le premier du genre à être lancé par les Editions Artima. Il s'agissait d'un coup d'essai caractéristique. En 1953, la notion de SF, bien qu'encore vague, n'est plus une inconnue pour le grand public du domaine français. Tout n'était cependant pas gagné d'avance, puisque ceux qui étaient au courant de la SF n'en devenaient pas automatiquement lecteurs. Jacques Sternberg (scénariste de « Je t'aime, je t'aime », de Resnais, et auteur de SF) a même mis en doute la sensibilisation relative des plus de vingt ans au phénomène SF, quand, interrogé par Bouyxou, il a déclaré : "en 1955, j'ai dirigé une enquête radiophonique sur la SF avec les élèves des grandes écoles ; aucun ne connaissait la SF qui, pour eux, se ramenait aux aventures de Tintin sur la Lune."(1) Rappelons qu'« On a marché sur la Lune », d'Hergé, date de 1954. On le voit, la SF n'atteignait alors beaucoup de gens que si les aventures de ce type étaient vécues par un héros déjà célèbre auparavant, comme Tintin, qui était devenu célèbre par des aventures d'un tout autre genre.

Bien sûr, Guy l'Eclair et Buck Rogers étaient des héros typiques de la SF dessinée, mais dans les magazines qui les ont introduits en France, leurs exploits côtoient ceux de héros totalement différents. Ainsi, le magazine limitait les risques: on pouvait l'acheter pour les autres personnages, pour les autres types de fiction.

C'est en cela qu'apparaît l'originalité de Météor: dès le départ, il refuse de mêler les genres, ne traite que de SF. Ce coup d'essai courageux va prendre des allures de coup de maître, puisque les héros — Spade, Spencer et Texas — s'imposeront d'emblée, et auront les faveurs des lecteurs pendant plus de dix ans. Dès lors, l'observation de la familiarisation progressive du jeune public avec la SF, on peut comprendre, par l'étude des caractéristiques des héros, comment des personnages peuvent rencontrer durablement le succès.

Il est intéressant de reproduire l'avertissement que faisaient les Editeurs en exergue du premier numéro de Météor:

Texte d'introduction de Météor n° 1

Météor n° 1, page 1

Le mot SCIENCE-FICTION est nouveau en France. Mais l'idée n'est pas nouvelle : EDGAR POE a apporté le FANTASTIQUE dans la LITTERATURE et JULES VERNE y a introduit l'ANTICIPATION SCIENTIFIQUE. Ces deux nouveautés ont donné naissance à ce que les anglo-saxons appellent la SCIENCE-FICTION. Notre AMBITION, Ami lecteur, en créant cet Album, est de vous AMUSER en vous apportant une part de REVE, de FABULEUX, et en vous donnant une image de ce que sera PEUT-ETRE, et nous disons bien: PEUT-ETRE, LE MONDE DE DEMAIN.

On y voit confirmé la nouveauté du vocable « SF » en 53, ce qui explique les confusions sur l'origine de ce genre. Ainsi, les Editeurs mêlent abusivement les notions de science-fiction et de fantastique. Mais l'allusion à Jules Verne correspond bien à l'idée d'anticipation scientifique. Les premiers numéros y seront particulièrement fidèles, faisant montre d'un souci d'exactitude scientifique très poussé. Par la suite, Météor s'orientera vers un space opera mitigé. Remarquons encore le style volontiers accrocheur, avec des mots en majuscules.

Et une expression du type "Ami lecteur" donne le ton d'une présentation qui apparaîtrait comme bien naïve aujourd'hui. C'est une ambiguïté du magazine, en tout cas à ses débuts: le simplisme de la présentation et des situations intègre des données scientifiques et techniques très sérieuses.

Car une caractéristique du magazine est la volonté de didactisme. Celle-ci peut s'expliquer aisément, puisque qui dit SF dit science, et, bien sûr, nécessité d'exposer les données scientifiques sur lesquelles se fonde la fiction. Le petit texte qui clôt le n°1 de Météor traduit bien ce respect des données sérieuses:

"... Pour l'heure, nous avons assimilé suffisamment d'explications techniques pour rendre vraisemblable cette première partie du récit et pour rendre logiques ceux qui vont suivre."

D'autre part, il s'agit d'une revue pour les jeunes, et il est bien compréhensible que les auteurs aient désiré joindre l'utile à l'agréable, profiter de ce que les aventures captent l'attention des jeunes lecteurs pour leur inculquer des données scientifiques de base.

Sans doute est-ce ce mélange de divertissement et de vulgarisation qui, dans les décades précédentes, faisait des jeunes le public privilégié de Jules Verne. Et il est certain qu'à ses débuts, Météor est très proche de la tradition française, se distinguant nettement en cela des magazines SF Artima ultérieurs (l'adaptation de romans du Fleuve noir dans Sidéral n'excluant pas une influence américaine). Pas question de liberté d'invention graphique comme dans les bandes dessinées US, pas question non plus de space opera délirant. Au début, le graphisme de Raoul Giordan est très traditionnel, voire médiocre. Il s'améliorera heureusement par la suite, mais se gardera toujours des cadrages audacieux et raffinés d'Alex Raymond. Quant aux histoires, bien que faisant une place de moins en moins parcimonieuse au space opera, elles resteront fidèles à une exactitude scientifique de base. En sa maturité, cette bande dessinée réalisera donc un compromis entre un scientisme par trop guindé et une imagination par trop échevelée. A ce moment, on ne se sert plus de la fiction comme d'un tremplin à la vulgarisation scientifique, mais on utilise les données scientifiques pour assurer la vraisemblance de machines prodigieuses (robots ultra-perfectionnés) ou la vraisemblance de sociétés imaginaires ultra-technocratiques (préfiguration de la société terrienne ou mise en garde extra-terrestre contre ce qu'elle risque devenir). Et même à ce second stade, les informations scientifiques étaient rigoureusement exactes. De toute façon, elles seront toujours présentes dans Météor puisque apparaît une « chronique de l'espace  » donnant les caractéristiques des planètes de notre galaxie ou rapportant les prévisions en matière d'exploration spatiale:

Chronique de l'Espace
Météor n° 112 (juillet 1962), page 35 (les dessins ne sont pas de Raoul Giordan)

Enfin, dernière caractéristique essentielle, il s'agit d'un magazine réservé aux jeunes. Il se conforme donc aux prescriptions de la loi de 1949, d'autant plus attentivement qu'il voit le jour en mai 1953, deux mois après le sabordage forcé du Donald de Winkler. Aussi, comme on le montrera plus loin, les héros sont porteurs d'une morale très conformiste. D'autre part, les personnages féminins seront rares, et ne joueront qu'un rôle anecdotique ou stéréotypé.

Marquise de Karabastro
La Marquise de Karabastro: personnage féminin stéréotypé ?
Météor n° 77 - (septembre 1959) (couleurs: Prof TNJ)

(1) J.P. BOUYXOU, La science-fiction au cinéma, p.430.


Science Fiction par RR Giordan
Première vignette de
Météor n°1 (mai 1953)

Spage Girl 1
Météor n°1, page 8

Météor n° 7: vignette didactique
Météor n°7 (novembre 1953), page 4:
vignette didactique

Météor n° 7: vignette explicative
Météor n°7, page 4:
vulgarisation scientifique intégrée

Météor n° 16 (couverture)
Météor n°16 (septembre 1954)

Notes personnelles.

Jusqu'au numéro 50 (05/1957), Spencer, Spade et Texas explorent le Système Solaire, celui-ci comptant un très grand nombre de planètes inconnues et souvent habitées. Les moteurs atomiques à réaction autorisent ces voyages et expliquent la durée de ceux-ci. Cette réalité technologique est mise à profit dans plusieurs histoires.

Ainsi, dans le n° 33 (02/1956), les explorateurs devront attendre des mois la rançon versée par le Gouvernement Terrien pour leur libération des griffes de "pirates des étoiles".

Mais, le scénariste Jean Pradeau fait dire à Spencer dès les deux premières vignettes du n° 50:

"Nous passons à proximité de la galaxie dont notre Terre fait partie... Voyons si je puis capter un message de notre chère vieille planète... Ce serait amusant d'avoir quelques nouvelles !".

Dans le n° 90 (10/1960), la vitesse de la lumière est dépassée pour la première fois. Pourtant, dans le n° 52 (08/1957) nos astronautes "franchissent une distance de seize jours-lumière en huit jours" (page 34). Dans l'épisode du numéro plus tardif, ceux qui ont effectué l'expérience — Spencer et un malfaiteur — acquièrent le pouvoir de passer au travers des murs.

La rigueur scientifique en prend un coup !

Mais ces épisodes et quelques autres constituent des exceptions. Dans le n° 59 (03/1958) l'auteur tente d'expliquer scientifiquement certains pouvoirs des sorcières. L'auto-suggestion permet des "miracles" dans le récit du n° 19 (12/1955) et une drogue est capable de décupler les facultés psychiques dans météor n° 117 (02/1963).

Joseph Thonnard, 01/03/2005

Météor 97 - Gwaldin p.4
Météor n° 97 (06/1961), page 20:
science avec conscience...

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Ce document est extrait de la thèse
ETUDE THEMATIQUE ET TYPOLOGIQUE D'UNE BANDE DESSINEE DE SCIENCE-FICTION:
LES AVENTURES DE SPENCER, SPADE ET TEXAS DANS LE MAGAZINE "METEOR"

par Alain Dartevelle (Université Libre de Bruxelles - 1975)
et publié sur ce site avec sa permission.

note du Prof TNJ:
ces aventures ont toujours été publiées en noir et blanc; certaines vignettes ont été mises en couleur par moi-même pour rendre ces pages plus brillantes (et aussi parce que je trouvais cet exercice passionnant).